Littérature et escroquerie : La Foire aux vanités

Publié le par Jerry

(Ce billet est ma première contribution à un groupe de travail très sérieux sur "le glamour dans la littérature internationale, des origines à nos jours".)

    Il y a une mode absurde qui veut qu'on change le titre des bouquins étrangers. C'est idiot. Pourquoi parler de "La Foire aux vanités" alors que le bouquin de William Makepeace Thackeray (le mal nommé) s'appelle Vanity fair ?


    Vanity fair. A première vue, un titre un peu énigmatique. En fait, pas tant que ça, vous allez voir. Pour "vanity", c'est très clair: un vanity, c'est une sorte de petite valise qui sert aux dames soignées pour emporter leurs produits de beauté en voyage. Quant à "fair", bon, ça, tout le monde comprend, malgré la faute d'orthographe, mais enfin de nos jours, on ne peut pas être trop exigeant. Laissez tomber toute cette absurdité pompeuse de "foire aux vanités", le titre signifie donc, littéralement, "faire son vanity".

    Et en fait, c'est très mensonger, comme titre. Parce que les dames qui savent faire leur vanity, dans cette histoire, et qui sont toujours bien maquillées et à la pointe de la mode, qu'est-ce qu'elles se mangent pas comme méchancetés de la part de l'auteur. Du coup, en définitive, on n'apprend à peu près rien sur l'art et la manière de bien faire son vanity. Au contraire même, il choisit comme héroïne de son "roman sans héros" une jeune fille, Amélia, qui, soyez-en sûrs, est une vraie quiche pour faire son vanity : la preuve, elle est super jolie au naturel. Quelle dinde.

    En fait, si l'auteur avait été un tant soit peu honnête avec sa lectrice, Amélia aurait profité des bons conseils de sa copine Rebecca, celle qui sait super bien faire son vanity, et on aurait eu un roman d'apprentissage tout à fait correct à la fin duquel l'anti-héroïne aurait tout appris sur l'art du maquillage élégant et économique à la fois. Et du coup, la lectrice aussi, voyez comme c'est malin, les romans d'apprentissage.

    Au lieu de ça, elles ne restent pas longtemps copines. Faut dire qu'elles ont pas grand'chose en commun. Amélia est brune et fille d'un riche homme d'affaire. Et elle n'est pas seulement gentille, elle est super méga kawaii. Rebecca est blonde et fille d'un peintre sans le sou et d'une danseuse d'opéra française (!), et ses parents sont tout crevés par-dessus le marché. Et elle n'est pas seulement méchante, à chaque fois qu'elle fait quelque chose qui a l'air gentil, c'est soit par intérêt, soit d'une manière tellement tordue qu'en fait c'est une méchanceté quand même.

    Pour résumer... Comment dire. Au début du bouquin, l'auteur se drape dans sa toge, prend un air inspiré et écrit:

    "The world is a looking-glass, and gives back to every man the reflection of his own face. Frown at it, and it will in turn look sourly upon you; laugh at it and with it, and it is a jolly kind companion; and so let all young persons take their choice."

    (Traduction Parking sur cour (c) : "Le monde est un miroir, et rend à chaque homme le reflet de son propre visage. Froncez les sourcils, en retour, il vous regardera avec aigreur ; riez avec et de lui, ce sera un joyeux compagnon ; que tous les jeunes gens choisissent ainsi leur camp.")
    En gros, le monde se comporte avec vous comme vous avec lui. Bon. Bien. Sauf que par la suite, William Makepeace Thakeray raconte exactement le contraire pendant 800 pages bien tassées, où tout sourit à la vilaine et malveillante Rebecca tandis que la gentille et généreuse Amélia sert plus ou moins de punching-ball aux coups du sort : un entraînement pour tous les malheurs de l'humanité.


    A la fin, heureusement, en deux coups de cuillère à pot, les gentils seront récompensés et les méchants... Non, les méchants ne seront pas punis. Mais la morale est à moitié sauve.

    Le but, entre-temps, c'est surtout de montrer à quel point les gens du monde ne jugent que par les apparences, lesquelles s'acquièrent soit par l'argent, soit par le mensonge (ou encore les deux à la fois, puisqu'on peut gagner de l'argent par le mensonge). Le monde tel que nous le décrit Thackeray est tellement moche qu'il donnerait volontiers envie de se suicider, s'il n'était pas aussi drôle. Parce que Thackeray, c'est décidément un écrivain malhonnête. C'est quelqu'un qui prétend dénoncer à tour de bras, et qui au lieu de ça vous fait rire à tour de gorge. C'est quelqu'un qui parle d'escroquerie et la pratique en écrivant. Vanity fair, c'est à peu près aussi efficace comme roman moral que Les Liaisons dangereuses. William Makepeace, avoue, si le monde que tu pourfends était meilleur, tu ferais quoi de ta plume, hein? Tu te la mettrais derrière l'oreille pour aller faire de la comptabilité.

    Pour conclure, Vanity fair, c'est drôle, c'est brillant, c'est souvent très fin, à part, bien sûr, cette image ultra lourdingue de la foire aux vanités sur laquelle l'auteur revient sans cesse avec de gros sabots, on aurait pu s'en passer, mais après tout, il suffit de sauter ces quelques paragraphes pour avoir un honnête bouquin malhonnête.

Publié dans Confiture

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M
C'est un article au trente-sixième degré? Ou tout simplement un article stupide? Parce qu'il passe tellement à côté du sujet, avec cette histoire de "vanity"case, que c'en est tout simplement ....<br /> con-sternant!
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T
<br /> <br /> L'article répond de lui-même :<br /> <br /> <br /> "les gens du monde ne jugent que par les apparences".<br /> <br /> <br /> <br /> Mais je devine, Marine, que vous n'êtes pas de ces gens-là.<br /> <br /> <br /> <br />