Megaup, megadown
I guess it's over now. But it's been ten good years, right ?
Il y a certainement dans le monde des évènements plus importants que le 404 du FBI sur Megadownload (dont le nom est quand même un cours de smart branding à lui tout seul) et l'arrestation de son douteux phacochère de patron Kim.Com, mais les petits évènements recèlent parfois des richesses insoupçonnées (spirituellement parlant).
D'abord, ça a permis à tout le monde de comprendre que internet était la propriété des Etats-Unis. Ça n'était pas une nouveauté, mais c'est comme un terrain vague : le jour où vous voyez une clôture apparaître, vous vous souvenez qu'il y a un cadastre.
Ensuite, il y a le fait qu'on ne se peut gaver de nouvelles technologies pour soutenir la fameuse croissance, sans accepter la nature de ces nouvelles technologies. Comment vendre des iPad et des iPhones sans accepter la dématérialisation des contenus numériques ? On peut étendre le droit d'auteur pour le représenter comme un droit d'usage des contenus, mais à partir du moment où l'usage ne coûte rien, on se retrouve assez vite devant un problème, du moins si on attache au droit d'auteur une valeur financière.
C'est également une occasion de réfléchir à la notion de droit d'auteur, ce faux-ami. Les auteurs sont très indirectement concernés par le téléchargement illégal, puisqu'ils ont cédé leurs droits. Le terme d'Eva Joly sur l'industrie du copyright faisant face aux monstres qu'elle a engendrés est de loin la position politique la plus pertinente sur le sujet. Les auteurs ont cédé leurs droits à ceux qui leur ont financé la réalisation et la diffusion de leur travail. Ce sont donc les producteurs et les diffuseurs qui détiennent le droit d'auteur en contrepartie de l'argent et des moyens qu'ils ont avancé. Généralement, ils se remboursent de tous leurs frais avant de commencer à répercuter, s'il y a lieu et si le contrat le prévoyait, sur l'auteur. Parmi ces frais à rembourser est évidemment comptabilisé le montant de l'achat du droit d'auteur, qui n'est jamais envisagé dans le contrat de cession que comme une avance.
Autant dire qu'il faut qu'un album ou un film fasse un vrai carton pour que l'auteur véritable touche des retombées sur son succès. Ces retombées sont ensuite à la discrétion des sociétés exploitantes du droit d'auteur. Les frères Weinstein par exemple, sont bien connus pour ne jamais reverser un centime aux auteurs, étant donné qu'ils ne parviennent jamais à se rembourser de leurs frais (un vrai mystère, ils ont un triangle des Bermudes dans leur bureau). Bien sûr, l'auteur est censé avoir accès aux comptes d'exploitation de son oeuvre, mais dans la pratique, lorsque Dreamworks donne un chèque à Dugland parce qu'il a écrit un film qui a bien marché, Dugland remercie gentiment et ne va pas fouiller dans les comptes, à moins de vouloir dépenser aussitôt son chèque en frais d'avocat et de ne plus jamais bosser avec Dreamworks. Ceci permettant de comprendre pourquoi Spielberg produit Spielberg.
Ça n'en fait pas une raison de dire que le téléchargement est la Boston Tea Party du XXIe siècle, après tout producteur et diffuseur sont des métiers et il faut bien que tout le monde vive, mais enfin autant savoir de quoi on parle quand on prononce le terme droit d'auteur. Pour le numérique, seule la licence globale permettra de sortir de l'ornière, et la seule raison pour laquelle elle n'est pas encore mise en place, c'est que les diffuseurs ne veulent pas investir dans le développement de plate-formes qui ne leur rapporteraient rien (parce que déconnons pas). Donc ils laissent Megaupload investir dans le développement, ils laissent des internautes rétribués par la pub monter les sites de direct download - dont certains sont remarquablement efficaces et intéressants - ils laissent Megaupload devenir bien gros, et ensuite ils gueulent au tribunal pour récupérer en dommages et intérêts le bénéfice de l'opération, en ayant économisé l'investissement. Honnêtement, c'est une très bonne affaire. En plus, on peut se draper dans la toge de la vertu bafouée, et ça c'est trop bon.
Personnellement, ce que j'attends avec curiosité, c'est le procès. Parce que je n'ose imaginer les conséquences si le FBI perdait.
Mais bizarrement, ce qui me revient en mémoire, dans l'affaire Megaupload, c'est tout le bataclan médiatique qui a entouré les révolutions du monde musulman, où tout le monde semblait dire que les réseaux sociaux avaient fait tomber les dictatures. Il me semblait à l'époque qu'un lent pourrissement social et des mecs dans la rue prêts à tenir tête à des fusils étaient plus déterminants, mais il est vrai qu'internet a permis la communication et donc l'organisation d'un mouvement collectif qui sinon serait peut-être resté dispersé et inefficace. A la grande époque syndicale, les communistes envoyaient usine par usine des types chargés d'expliquer le B-A BA du marxisme, et c'était plutôt efficace aussi, mais à chaque époque ses moyens.
Quand je vois le FBI couper Megaupload - sur lequel j'avais des fichiers légaux bien pratique pour les échanges professionnels -, quand je lis le contenu du SOPA présenté au Congrès, une petite voix me fait remarquer une certaine correspondance temporelle entre "le printemps arabe" et le moment où le pouvoir a sonné la fin de la récré internet. Et elle ajoute ingénument que peut-être, si lien obscur il y a, c'est que ni les Etats-Unis, ni les démocraties libérales ne souhaitent prendre le risque que le Net leur échappe et que tout ça leur arrive à eux - nous arrive à nous.